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L'enfant assisté

 

1.

L'arrêté préfectoral de 1862: un récapitulatif des lois au sujet de l'enfant assisté

 

2.

Le cas d'Augustin, enfant abandonné en 1886

d'après le registre 3 X 489  consulté aux archives

 

3.

Le cas d'Augustin, placement et suivi d'un enfant assisté

d'après le registre 3X 293 ( registre matricule)

 

 

 

 

 

 

 

1.

L'arrêté préfectoral de 1862: un récapitulatif des lois au sujet de l'enfant assisté

 

Registre 5 M 46 aux ADS

En 1862, un arrêté préfectoral, constitué de 127 articles regroupés en 14 chapitres, fut rédigé dans le but de réunir en un seul document les dispositions applicables au « service des enfants assistés » du département sarthois.

Ce document, véritable « manuel de l’enfant assisté », récapitule tout ce qui concerne l’abandon d’enfant, de la définition de l’abandon jusqu’aux diverses protocoles à appliquer tant pour déposer un enfant que pour le recevoir, le nourrir, le soigner, le placer en nourrice, veiller à son éducation ou encore le reprendre pour le ramener au foyer.

J’en ai relevé quelques extraits, susceptibles d’orienter mes recherches au sujet de mon ancêtre Augustine.

 

#               #

Chapitre 1-Article 3

L’abandon est clairement défini dans l’article 3 du chapitre 1, dédié à la classification des enfants :

 

« Les enfants abandonnés sont ceux qui, nés de père et de mère connus et d’abord élevés par eux ou par d’autres personnes à leur décharge, en sont délaissés sans qu’on sache ce que ces père et mère sont devenus ou sans qu’on puisse recourir à eux à raison de leur indigence absolue, d’infirmités graves dont ils seraient atteints ou d’autres circonstances spéciales »

 

« Sont assimilés aux enfants abandonnés :

1° Les enfants des prévenus ou condamnés indigents. Toutefois, si le père ou la mère seulement est détenu, les enfants restent à la charge de celui-ci d’entre eux qui est en liberté ;

2° Les enfants des indigents traités ou admis dans les hôpitaux et hospices, jusqu’à la sortie de ceux-ci ou de l’un d’eux de l’établissement hospitalier ;

3° Les enfants naturels que, même avec un secours temporaire, la mère serait hors d’état d’élever. »  

 

 

« …sans qu’on puisse recourir à eux à raison de leur indigence absolue… », « …même avec un secours temporaire, la mère serait hors d’état d’élever… » : voilà très certainement les raisons qui ont entrainé le dépôt d’Augustin à l’hospice du Mans.

 

Chapitre 2

Le second chapitre regroupe les articles définissant précisément les modes d’admission. On peut y lire qu’il existait antérieurement à 1862 un seul et unique bureau d’admission dans la Sarthe : celui de l’hospice du Mans (trouver l’adresse). Tenu par une religieuse (ce qui confirme l’exactitude de la « légende familiale » puisque mon arrière-grand-père a été accueilli par « les sœurs » lorsqu’il est venu se renseigner sur ses origines), le bureau était ouvert de 8 à 16 heures en hiver et de 7 à 19 heures en été.

Effectivement, dans la Sarthe, pas de tour d’abandon qui permettait aux femmes de déposer leur enfant en toute discrétion. A la place, un bureau dans lequel une religieuse recevait toute personne venant déposer un enfant.

Les articles concernant les enfants exposés précisent la manière dont sont attribués leurs noms et prénoms : dans « l’intérêt d’un bon choix », c’est-à-dire de manière à ne pas attribuer à l’enfant un patronyme qui pourrait lui porter préjudice, une commission a déjà travaillé à l’établissement d’une liste de noms et prénoms dans laquelle les employées de l’hospice doivent choisir.

 

« L’administration hospitalière déclare ces enfants à l’Etat civil du Mans et leur donne des noms et prénoms qui, dans l’intérêt d’un bon choix, sont pris sur une liste préparée à cet effet par la commission administrative »

 

Chapitre 2- Article 13

L’acte de naissance d’Augustin mentionne la présence de Mme Lebreton, sage-femme, témoin de plusieurs autres naissances d’enfants naturels au Grand-Lucé à cette même époque. A ce titre, l’article 13 m’interpelle plus particulièrement puisqu’il définit le rôle des sages-femmes qui, lorsqu’elles sollicitaient l’admission à l’hospice d’un enfant abandonné, devaient fournir des pièces justificatives, dont, un certificat constatant « qu’à raison de son extrême indigence », la mère « ne pourrait, même avec l’aide de sa famille ou les secours du Département, élever son enfant. »

J’en déduis que la présence de la sage-femme, auprès d’Augustine le jour de son accouchement, témoigne de son intention de s’occuper de l’admission du nourrisson à l’hospice. De ce fait, des preuves de son indigence ont dû être apportées lors de l’ouverture du dossier de l’enfant à l’administration hospitalière. Ces documents doivent être riches en renseignements puisque l’article précise :

 

« Ce certificat doit en outre faire connaitre le lieu de naissance de la mère, les diverses communes qu’elle a habitées à une époque voisine de son accouchement   et la profession qu’elle y a exercée. »

 

L’admission à l’hospice d’un enfant abandonné était donc le résultat d’un protocole clairement défini nécessitant une succession de démarches administratives à effectuer en amont. Les demandes d’admission pouvaient s’effectuer aussi bien à l’hospice qu’à la sous-préfecture, à la préfecture ou auprès des autorités locales. Puisqu’un arrêté préfectoral atteste de l’acceptation du dossier d’admission d’Augustin, force est de conclure que la demande de place a été effectuée en amont, sans doute vers le mois de novembre. Il doit être possible de retrouver des traces de cette demande dans une fourchette de temps de trois mois précédant la naissance d’Augustin.

 

Chapitre 3

Le chapitre 3 est dédié aux secours temporaires ; des sommes d’argent, parfois des vêtements, accordés par les sous-préfets aux parents dans le besoin. Ces aides sont suspendues dès la troisième année de l’enfant ou s’il est prouvé que la mère se livre à la mendicité ou « si elle retombe dans l’inconduite ». Encore un fois, la demande de secours doit s’appuyer sur des preuves écrites de l’indigence des parents ; c’est aux autorités municipales qu’il revient d’attester de la misère de la famille.

 

« Ce certificat doit en outre indiquer si elle en est à sa première faute et si, d’après le repentir qu’elle témoigne, il y a lieu d’espérer son retour à une meilleure conduite. »

 

Chapitre 4

 

Le chapitre 4 regroupe les articles déterminant la tenue des registres d’inscription et au séjour des enfants dans les hospices.

L’hospice se doit de tenir à jour 7 registres.

Un registre contenant le « journal » de l’hospice, 3 registres matricules. Chaque catégorie d’enfant possédant son propre registre. Un pour les enfants trouvés, un second pour les abandonnés, le troisième pour les orphelins.  Ils conservent tous les faits qui concernent chaque enfant. Un cinquième registre est destiné à recevoir le nom des enfants qui ont passé leur 12ème année et le suivi de leur placement. Un registre est réservé aux décès des enfants assistés. Enfin, un registre récapitule sommairement la vie de l’enfant.

Il existe encore un registre réservé aux enfants placés temporairement.

L’article 28

Enfin, très important, l’article 28 stipule : « Indépendamment des indications qui le concernent dans les registres dont il vient d’être fait mention, chaque enfant trouvé, abandonné ou orphelin, a un dossier spécial où sont conservés avec soin tous les actes, bulletins, lettres, documents et renseignements qui se rapportent à lui, depuis son entrée à l’hospice jusqu’à sa sortie de cet établissement ou sa majorité ». Ces dossiers, classés par ordre alphabétique, sont placés sous clé.

 

Chapitre 5

Le chapitre V concerne le placement à la campagne des enfants et les conditions à remplir pour être nourrice.

 

Article 35 :

L’article 35 réglemente les moyens à utiliser pour empêcher toute recherches entre la mère et l’enfant :

« Lorsque, dans le but d’empêcher les recherches de la mère, un enfant a été placé sous un nom supposé, son véritable nom est transmis au Maire sous une enveloppe cachetée que ce fonctionnaire ne doit ouvrir qu’en cas de mort de l’enfant et afin de s’en servie pour la rédaction de l’acte de décès »

 

Article 37 :

Cet article stipule qu’à son départ de l’hospice, la personne qui a obtenu un enfant reçoit un livret.

Article 38 :

A son retour dans sa commune, la nourrice doit présenter au Maire « l’élève de l’hospice ». Ce fonctionnaire en fait mention sur le livret et inscrit l’enfant sur le registre.

Chapitres suivants :

S’ensuivent d’autres chapitres au sujet des pensions des nourrices, des layettes et vêtements fournis, du service médical, de l’éducation religieuse et intellectuelle et de la mise en apprentissage.

 

Chapitre 13

Le chapitre 13 règlemente les maisons d’accouchement.

 

Chapitre 14 :

Le chapitre 14 fait le point sur la reconnaissance et la réclamation des enfants.

 

Article 122

Cet article rappelle qu’il est donné des nouvelles des enfants aux parents qui le demandent. Ces nouvelles peuvent être  renouvelées tous les trois mois si la demande en est faîte.

« Ces nouvelles se bornent à l’indication pure et simple de l’existence du décès, de l’état de santé ou de la maladie de l’enfant. »

 

 Cet arrêté a été rédigé au Mans, à l’hôtel de la Préfecture, le 25 novembre 1862, alors que le préfet était M. D’Andigné.

 

Retour à la misère des femmes, sur les traces d'Augustine

 

 

 

2.

Le cas d'Augustin,

enfant abandonné en 1886

d'après le registre 3 X 489  consulté aux archives

 

Mon aïeul Augustin appartient à la catégorie des « enfants abandonnés » définie dans l'article 3 du chapitre 1 de l’arrêté récapitulatif de 1862. 

"Sont assimilés aux enfants abandonnés les enfants naturels que, même avec un secours temporaire, la mère serait hors d’état d’élever. »

Dans son dossier individuel côté 3 X 489 conservé aux archives départementales de la Sarthe, plusieurs courriers attestent de son admission et apportent quelques renseignements sur les raisons de son abandon.

"Le 24 décembre, j'ai autorisé l'admission à l'hospice dépositaire du Mans de l'enfant Chable Augustin né la veille au Grand-Lucé que Monsieur le Maire de cette commune a fait diriger sur l'hospice sans autorisation préalable"

J’apprends ici que la démarche d’abandon a été effectuée à l’initiative de Monsieur Blateau, maire du Grand-Lucé.

Je savais déjà que l’abandon d’Augustin n’était pas du fait de sa mère Augustine mais plutôt de l’intervention d’une autorité supérieure.

Si je souligne le terme « initiative », c’est parce que la suite des documents prouve que Monsieur Blateau a agi, à plusieurs reprises, sans suivre le protocole défini.

Toute admission d’un enfant à l’hospice doit être validée en amont par les services de la préfecture. Pour ce faire, un dossier doit être préparé par le maire et préalablement déposé au service des enfants assistés afin qu’il soit étudié.

"Aux termes de l'article 16 de l'arrêté réglementaire du 30 novembre 1868, Mr le maire devait d'abord m'adresser les pièces exigées par l'article 13 du dit arrêté et attendre mon autorisation"

Mais, dans le cas d’Augustin, aucune pièce n’a été fournie en amont.

Or, ce n’est pas la première fois qu’un enfant du Grand-Lucé, dirigé vers l’hospice par Monsieur Blateau, est accepté sans que le dossier ait été préalablement visé par le préfet. Le cas s’est déjà présenté au sujet d’un dénommé Moreau.

"J'ai l'honneur de vous prier, M. le sous-préfet de vouloir bien lui transmettre ces observations et le prévenir que si ce fait - qui a déjà eu lieu une première fois au sujet d'un enfant Moreau- venait à se reproduire, je me verrai dans la nécessité de refuser l'admission demandée"

 

Augustin est malgré tout admis et l’arrêté signé le jour même, 24 décembre 1886 :

Abandon d'enfant-admission à l'hospice
ADS registre 3 X 489

 

 

Si l’arrivée du petit Augustin n’a pas été précédée de la constitution d’un dossier, en revanche, elle a été accompagnée d’un courrier.

En effet, une lettre accablante rédigée par le maire de la ville du Grand-Lucé, dresse un portrait plus qu’alarmant des conditions de vie d’Augustine, et atteste de son incapacité à élever son enfant.

-Augustine est dans "un état absolu d'indigence".

-Augustine est dans " l'impossibilité d'élever l'enfant qu'elle vient d'avoir".

-Augustine "ne possède aucune économie". 

-Augustine ne gagne "que de faibles gages".

-Augustine a "peu d'intelligence".

-Augustine est dans un état "voisin de l'idiotisme".

-la mère d'Augustine est "indigente, âgée et paralytique".

-Augustine est une "malheureuse fille""déjà mère d'un premier enfant âgé de 3 ans" qui "a été élevé par sa belle-soeur avec l'aide de l'assistance publique du département"

 

ADS 3 X 489

Retour à la misère des femmes, sur les traces d'Augustine

 

 

 

 

3.

Le cas d'Augustin,

placement et suivi d'un enfant assisté

d'après le registre 3X 293 ( registre matricule)

Pas à pas

 

Registre matricule d'enfants assistés- Archives de la Sarthe
Registre matricule d'enfants assistés-Archives départementales de la Sarthe-3 X 293

 

Registre matricule d'enfants assistés-
Registre matricule des enfants assistés- 3 X 293

C’est sous la côte 3X 293 qu’est classé le registre matricule contenant le dossier d’Augustin.

Ce registre ne contient que les dossiers concernant les enfants abandonnés, nés de père et mère connus, absents, condamnés, ou incapables d’élever leur enfant.

Or, nous venons de la voir, Augustin répond en tous points à ces critères : il est né d’une mère connue, incapable d’élever son enfant.

 

Le contenu de ce registre est d’une importance majeure ; c’est dans ses pages qu’ont été conservées les notes prises tout au long de son suivi, du jour de son admission à l’hospice jusqu’à ses 12 ans.

Par recoupements avec les notes prises lors de la lecture du dossier 5 M 46, la lecture des listes de recensement et des registres d’Etat civil de cette même époque, je vais pouvoir retracer presque pas à pas, les premières années de la vie de mon aïeul.

registre des enfants abandonnés
1ère page du registre matricule côté 3 X 293 aux ADS
Registre matricule des enfants assistés de la Sarthe
Seconde page du registre matricule côté 3 X 293 aux ADS
Registre matricule des enfants abandonnés de la Sarthe
Troisième page du registre matricule côté 3 X 293 aux ADS
Registre matricule des enfants assistés de la Sarthe
Quatrième page du registre matricule côté 3 X 293 aux ADS

Le procès-verbal de clôture du registre matricule mentionne que durant l’année 1886, 51 enfants ont été rendus à leurs parents ou à leur département d’origine, 58 ont atteint l’âge de 12 ans et 30 sont décédés.

Augustin est le 87ème et dernier enfant admis à l’hospice du Mans pour l’année 1886.

Son admission permet de refermer le registre de l’année en portant le nombre d’enfants assistés à 558 pour le département de la Sarthe.

 

Pour suivre la reconstitution pas à pas du suivi d'Augustin, enfant de l'Assistance, c'est ici:

 

Pour retourner à la misère des femmes, sur les traces d'Augustine, c'est là.

 

Tag(s) : #Misère, célibat, abandon et infanticide., #Généalogie sarthoise
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