Augustin, enfant abandonné.
Reconstitution pas à pas de ses premières années
Décembre 1886
A la toute fin de l’année 1886, le 23 décembre , la nuit est tombée depuis longtemps lorsqu’Augustine Châble, mère célibataire, accouche au domicile de sa mère et sous la surveillance de Marie Lebreton, une sage femme de 91 ans, d’un garçon qui est prénommé Augustin.
Dès le lendemain, le 24 décembre, l’enfant est emporté et emmené par la sage-femme à l’hospice du Mans. (J’imagine d’ailleurs, vu l’âge avancé de la sage-femme présente lors de l’accouchement, qu’une autre sage-femme a fait le déplacement jusqu’au Mans)
Si vous souhaitez connaitre les raisons de l'abandon, c'est ici.

Augustin est rapidement baptisé.
Le site de la médiathèque Louis Aragon du Mans permet de visionner quelques plans d’époque afin de situer l’établissement hospitalier,au bord de la Sarthe.

Durant les quelques jours qu’il passe à l’hospice, si le règlement est convenablement appliqué, Augustin est vacciné et nourrit « au moyen de nourrices sédentaires résidant dans l’établissement » ( 5 M 46)
Enfin, en attendant d’être placé chez une nourrice, et toujours si le règlement est suivi à la lettre, Augustin est « placé dans des locaux particuliers où n’ont accès que les personnes chargées de le soigner ou de le surveiller ».
Un plan de l’hospice permet à son tour de localiser les bâtiments dans lesquels Augustin a séjourné, à savoir le bâtiment des enfants trouvés et l’église dans laquelle il a été baptisé.

Après quelques jours confié aux bons soins de l’hospice, Augustin sera placé « à la campagne ».
En effet, « les enfants que le médecin de l’hospice a reconnus pouvoir être placés sans inconvénient pour leur santé ou celle des nourrices sont envoyés, dans le plus bref délai, à la campagne.
Ils doivent, autant que possible, être placés dans des localités communiquant facilement avec le chef-lieu de la commune ; afin de pouvoir fréquenter en toute saison les églises et les écoles. »
Avant son départ, il recevra un « collier garni d’une petite médaille en argent portant la désignation de l’hospice dépositaire » ainsi que son numéro matricule : 5948.
Pendant ce temps, au Nord-Ouest du Mans, dans une ferme du Hameau de Haut-Eclair (parfois orthographié Haut et Clair) à Ségrie, exactement à l’opposé du Grand-Lucé, un couple de cultivateurs, parents de 5 enfants dont les aînés sont déjà âgés et ont quitté la maison, s apprête à recevoir un nourrisson de l’hospice du Mans *. Ce n’est pas la première fois que Joseph Pauloin et sa femme Valérie Vannier accueillent un enfant de l’assistance. Les listes de recensement de 1881 font apparaître le nom d’ Abel Martin, un nourrisson âgé de 3 mois, présent parmi eux.(Cf: voir les ADS en ligne 2 mi 289_149 – vue 322 )
* Je ne sais pas si Valérie et son mari sont venus au Mans chercher l'enfant ou si l'enfant leur a été apporté par des "meneurs" comme c'est le cas à Paris. En l'absence de documents sur ce sujet pour l'instant, je vais partir du principe qu'ils sont venus jusqu'au Mans, à la rencontre d'Augustin.
Malheureusement l’année suivante, l’enfant, un petit parisien, décède.(cf: ADS : Registre de l’Etat Civil en ligne- année 1882-Vue 115)
Malgré cela, après que les services de la commune de Ségrie aient certifié que couple Pauloin-Vannier remplissait les conditions d’aisance et de moralité satisfaisantes, les autorisations nécessaires afin d’accueillir de nouveau un nourrisson ont été accordées.
Alors, le 10 janvier 1887, ils vont à la rencontre d’Augustin.*
*Je ne sais pas si Valérie et son mari sont venus au Mans chercher l'enfant ou si l'enfant leur a été apporté par des "meneurs" comme c'est le cas à Paris. En l'absence de documents sur ce sujet pour l'instant, je vais partir du principe qu'ils sont venus jusqu'au Mans, à la rencontre d'Augustin.
Janvier 1887
10 janvier 1887
A son arrivée à l’hôpital, Valérie Vannier se rend au bâtiment des enfants trouvés et, après savoir présentés les divers certificats requis, deux livrets lui sont remis.
Le premier contient les renseignements concernant l’enfant qu’elle va recueillir : son nom, son âge, la date de son baptême ainsi que son numéro matricule.
Le second contient ses propres devoirs et obligations, ainsi que des tableaux destinés à constater les paiements, la délivrance vestimentaire, le détail des dépenses qui seront effectuées afin d’assurer l’éducation et les soins dont l’enfant devra bénéficier.
Comme le règlement l’indique, Valérie reçoit un berceau en osier garni d’un oreiller en plumes et d’une couverture de laine, 2 taies d’oreillers, 8 chemises de toile, 10 langes en toiles, trois couches en treillis et 3 en molleton. La layette est aussi fournie.
Enfin, Augustin lui est présenté : il n’a que 18 jours. Il a dû être sevré car l’âge de Valérie ne permet pas d’imaginer qu’elle puisse l’allaiter.
Augustin va pouvoir intégrer un véritable foyer, au sein de la famille Pauloin.
C’est le maire de Ségrie qui se charge de sa surveillance. A la fin de chaque trimestre, Augustin doit lui être présenté de façon à ce qu’il puisse noter dans un registre toutes les observations qu’il jugera nécessaires, ainsi que tous les changements qui surviendront dans sa situation. Il est prévu que le maire puisse être aidé par les sœurs de charité chargées de l’assistance des malades indigents.
Une autre surveillance sera assurée par un inspecteur du service des enfants trouvés. Ces contrôles se feront de manière inopinée et donneront lieu à des rapports sur la santé de l’enfant, ainsi que sur les soins et l’éducation qui lui sont apportés.
Augustin a 6 mois lorsque le 21 juin 1887 de nouveaux vêtements (un maillot), parviennent à sa nourrice.
Il a 9 mois lorsque le 19 septembre, un inspecteur se présente au domicile de la famille Pauloin. Il inspecte les lieux, questionne Valérie et examine l’enfant. Il conclut sa visite par un bref rapport :
« forte constitution, bons soins »
Tout a l’air de se passer au mieux pour Augustin.
Dorénavant, les contrôles vont s'effectuer à un rythme annuel.
1888
Valérie et Joseph Pauloin vivent dans une ferme de la Clémentière, petit hameau voisin de « Haut et Clair ». Augustin n’a pas encore deux ans et vit entouré de ses deux parents nourriciers, de leur fille Marie et de la mère de Joseph, Rose , vieille femme de 81 ans, accueillie au sein du foyer depuis cette année.
Le registre de l’assistance indique qu’Augustin est tombé malade durant le dernier trimestre de l’année, puisque des frais médicaux sont engagés.
Pourtant, aucun rapport de l’inspecteur n’est noté, cette année-là. Il est possible qu’aucun contrôle n’ait été effectué, l’administration se reposant alors sur te travail de surveillance du maire, à moins que, tout simplement, le contrôle n’ait donné lieu à aucun fait notable.
1889 : 2ème visite
Il faut attendre le 22 mai 1889 pour retrouver la trace du passage de l’inspecteur des enfants assistés auprès d’Augustin et de sa famille d’accueil. C’est encore une fois de bon augure et la visite est conclue par une appréciation positive :
« bons renseignements »
Apparemment, pour Augustin, tout va bien. Malgré, très certainement, la visite d’un médecin ou pharmacien puisque des frais médicaux ont encore une fois été engagés au second trimestre.
1890 : 3ème visite
Augustin va maintenant sur ses 4 ans. La visite annuelle est toujours aussi rassurante, conclue par une notre positive, qui cette fois, est plus personnelle et laisse entrevoir un peu du caractère d’Augustin:
« Caractère assez facile ; bons soins »
Un partout; la nourrice fait son job et Augustin s’adapte.
Et comme les années précédentes, des frais médicaux ont de nouveau été engagés en fin d’année.
1891
L’année 1891 doit être une période de bouleversements pour Augustin. La composition familiale du foyer Pauloin évolue.
En tout début d’année, la grand-mère Rose Guéranger disparait du foyer : elle décède le 29 janvier. La fille, Marie, a elle aussi quitté le foyer. Peut-être travaille-t-elle dans les fermes alentours. Pourtant, la maison n’est pas vide, car les deux fils, Octave et Hippolyte, âgés respectivement de 17 et 24 ans sont revenus vivre avec leurs parents. Près d’eux, dans une maison voisine, la mère de Valérie vit avec un de ses fils, cultivateur. Ils vivent sur le même domaine à la Clémentière.
1892 : 4ème visite
Augustin va sur ses 6 ans. Il ne les a pas encore lors de la visite de l’inspecteur, le 29 juin 1892. Malgré sa remarque « un peu malade », le petit Augustin est déjà scolarisé et il est en classe « Vu l’enfant en classe ». Il faut préciser que, dans la famille Paulouin, la scolarité semble être un élément important de l’éducation. Les fiches matricules militaires des garçons mentionnent un degré d’instruction de niveau 2. (à vérifier).
Étonnement, même s’il est un peu souffrant, aucuns frais médicaux ne sont mentionnés sur le registre. D'après le règlement contenu dans le dossier 5 m 46 des Archives départementales de la Sarthe, « les élèves de l’hospice du Mans placés dans les communes profitent des avantages du service de médecine gratuite organisé par l’arrêté préfectoral du 24 décembre 1857. Les médecins chargés de ce service doivent visiter lesdits enfants et leur faire délivrer gratuitement des médicaments ». Dans le cas où les parents nourriciers auraient à payer, ils seraient remboursés. J’en déduis qu’Augustin a peut-être bénéficié de la visite des services de la médecine gratuite puisque à partir de 1892, plus aucuns frais médicaux ne seront inscrits dans la colonne dédiée. Seuls, les frais d’école sont notés de manière régulière.
Depuis ses deux ans, sa garde-robe est renouvelée une fois par an.

Vêtements fournis par l'assistance publique
1893 5ème visite
Augustin va sur ses 7 ans : l’âge de raison, dit-on. Il est visité le 12 juin. L’examen conclut que « sa santé est bonne » et qu’il « entend haut ». Il participe aux travaux des champs et fréquente l’école.
1894 : 6ème visite
Que s’est-il passé pour que les rapports jusqu’ici positifs témoignent d’un tel mal-être ?
L’inspecteur est laconique et termine sa visite par un simple :
« A déplacer »
pour le motif suivant :
« Ne va pas en classe ».
La bonne constitution d’Augustin, remarquée lors de son premier examen, fait-elle l’affaire de la famille Pauloin ?
Cultivateurs, l’empêchent-ils d’aller en classe pour le faire travailler aux champs ?
Que s’est-il passé pour que cette famille, qui semblait attentionnée et prompte à dispenser de bons soins néglige la scolarité d’Augustin ?
Le « caractère assez facile » d’Augustin serait-il en train d’évoluer ?
Ferait-il l’école buissonnière ?
Quel élément a bien pu faire basculer la situation ?
Il faut dire que le hameau de "Haut Eclair" est très éloigné du centre de Ségrie. Je ne sais pas où se trouve l’école mais il y a, je crois, bien 5 km à faire pour se rendre dans le centre du village.
L'arrêté de 1862, relatif au "service des enfants assistés",côté 5M46 aux ADS rappelle que "dans l’intérêt des enfants au-dessous de 12 ans, l’administration se réserve la faculté de les déplacer à son gré… » .
Il faut attendre le 26 novembre pour qu’ Augustin quitte la famille Paulouin pour retourner à l’hospice du Mans, le 26 novembre 1894.
Il y reste une petite semaine et, très vite, est placé dans une nouvelle famille.
1895 : 7ème visite le 11 mai
Bientôt 9 ans.
Augustin vit maintenant au Sud du Mans à Guécélard à plus de 40 km de Ségrie.
Il est placé chez Jean Richard, au hameau de Buffard.
Lors de la visite de l’Inspecteur des enfants assistés, la situation ne parait pas plus enviable qu’à Ségrie.
Encore une fois, Augustin n’est pas l’école.Mais il n’est pas, non plus, aux champs.
C’est le mois de mai et l’inspecteur trouve Augustin au lit, « un peu souffrant ».
Envolée, la forte constitution d’Augustin ?
Il faudrait que je consulte les dossiers de justice de paix de cette époque
1896 : 8ème visite, 23 juillet
Bientôt 10 ans.
Lui fête-t-on son anniversaire ?
Augustin semble s’être adapté à son nouveau cadre de vie.
La situation parait satisfaisante; il sait lire.
Il sait écrire.
Et le rapport mentionne qu’il est : « Bien tenu ».
Encore une fois, l’équilibre semble acquis entre Augustin et sa famille d’accueil.
1897 : 9ème visite, le 24 mai
Bientôt 11 ans.
L’équilibre est rompu. Il semble que le malaise détecté quelques années plus tôt, par l’inspecteur qui préconisait un changement de famille d’accueil, ait refait surface.
Mais avec une force démultipliée.
Augustin se rebelle.
Il n’a pas pris soins de ses effets.
J’imagine qu’il s’agit de ses vêtements, ceux qui lui sont imposés par les services sociaux.
« Ne prend pas soin de ses effets, les déchire à plaisir »
Ca sent la rébellion tout ça.
En même temps, c’est quoi ces vêtements ? Des trucs en laine qui piquent et qui grattent ?
Des « vêtures » (j'ai horreur de ce mot) trop petites, mal ajustées et qui le stigmatisent ?
Il faut dire que le rebelle n’est pas idiot. Il continue de fréquenter l’école régulièrement et a fait sa première communion.
Malgré ce constat négatif, rien n’est envisagé et Augustin reste dans le foyer Richard.
1898
10ème et dernière visite chez les Richard
Lorsque l’inspecteur passe le 23 mai, c’est pour constater que la situation est devenue invivable.
Le seul point "positif" est qu’Augustin va faire sa seconde communion dans 5 jours.
Pour le reste, c’est une catastrophe :
Augustin fait l’école buissonnière : parfois, il ne va à l’école qu’à la demi-journée.
Augustin refuse de se laver.
Il a « des habitudes d’indocilité » et son caractère « assez facile » est devenu « difficile ».
Depuis le temps que ça couve, il fallait bien que ça éclate.
Ce sont les dernières notes prises par les inspecteurs.
La comptabilité s’arrête au second trimestre 1898 : Augustin n’a pas encore 12 ans.
Et après?
Et bien, après, je perds la trace d'Augustin, durant 3 ans, tout simplement.
Le dossier 5 M 46, consulté aux archives et récapitulant la réglementation au sujet des enfants assistés, précise que lorsqu' «à raison d’insubordination ou d’inclinations vicieuses, il y a impossibilité de maintenir en domesticité ou en apprentissage, (les enfants ) sont ramenés à l’hospice, séparés des autres enfants et soumis à une ferme discipline. Ils peuvent aussi, selon les circonstances, être envoyés dans des établissements spéciaux, aux frais du budget départemental » (art 73)
Augustin a été ramené à l'hospice du Mans après la visite de l'inspecteur?
Dans ce cas, je devrais pouvoir trouver des renseignements supplémentaires à son sujet dans un autre registre, le "registre de tutelle", destiné à recevoir le nom de tous les enfants qui ont accompli leur douzième année. Peut être y a-t-il plus d'informations qu'une simple liste de noms.
Après leurs 12 ans, les enfants cessent d’être à la charge du budget départemental. Ils sont placés en qualité de domestiques ou d’apprentis chez des cultivateurs. Augustin est-il resté les quelques mois qui le séparaient de ses 12 ans chez la famille Richard, avant d'être placé comme apprentis?
Il n'y a aucune trace d'Augustin dans le recensement de 1901 à Guécélard. Je n'en ai pas trouvé non plus ailleurs.
Je ne retrouve sa trace qu'en 1902. A cette date, il vit à Degré, à l’est du Mans. C'est tout de moins ce que j'interprète à la vue de sa fiche matricule, en considérant l'année du recrutement 1906 barrée et remplacée par 1902.

A-t-il devancé l’appel en 1902, à 16 ans?
Résidait-il à Degré en 1902 ? en 1906 ?
Lors du recensement de 1906, un Augustin de son âge, enfant de l’hospice, est domestique à degré chez Louis Martineau. L’année de naissance inscrite n’est pas la bonne. Est-ce lui ? Probablement.
Vue 9

C’est, maintenant, majoritairement, à partir des documents de l’armée que je vais pouvoir suivre Augustin.
A suivre dans:
Le malheur des hommes