L’abandon d’enfant au XIX° siècle dans la Sarthe.
Une branche impossible à remonter ?
Lorsque je me suis interrogée sur l’origine de mon nom de famille et son histoire, je me suis naturellement tournée vers mon grand-père paternel afin de le questionner. Il était le plus ancien porteur de ce patronyme, le seul à pouvoir transmettre ce petit patrimoine. C’est à ce moment qu’il m’a raconté ce qu’il savait à propos de notre patronyme:
« Mon père Augustin a été abandonné par sa mère dès la naissance. Recueilli par les sœurs, elles lui ont donné ce nom de famille. Il n’a jamais connu sa mère. Et il nous est impossible de retrouver sa trace. A sa majorité, mon père a souhaité la connaître. Il est allé voir les sœurs de l’assistance qui lui ont déconseillé de la rechercher, prétextant qu’il pourrait être très déçu et affirmant que celles qui abandonnaient leurs enfants étaient très souvent de femmes « de mauvaise vie ». Alors, il n’a pas insisté. »
C’est ce lien rompu entre Augustin et ses parents inconnus que je tente de retrouver et de confirmer à travers les dossiers consultables aux archives.
La déclaration de grossesse
En effet, depuis longtemps déjà les femmes non mariées sont dans l’obligation de déclarer leur grossesse. Il faut dire que le cas des femmes célibataires a souvent été sujet à polémiques. Parallèlement, les avortements ou les tentatives d’avortement ont toujours été nombreux et l’histoire des femmes en est marquée. Bien évidemment déshonorées, trahies, affaiblies, les femmes seules et enceintes n’avaient souvent d’autres alternatives que de cacher leurs grossesses le plus longtemps possibles et trop souvent, de recourir à l’infanticide ou à l’abandon sauvage. C’est pour tenter de limiter ces attitudes extrêmes qu’un édit d’Henri II de 1556 a contraint les « femmes ayant conçu enfants par moyens déshonnêtes » à déclarer leur état afin d’échapper ultérieurement à la présomption d’infanticide.
La naissance d’un enfant « naturel » : naissance surveillée
Contrairement aux autres actes de naissance celui d’Augustin n’est pas effectué par son père dont il n’est fait aucune allusion. La personne qui vient déclarer sa naissance devant l’officier d’état civil est étrangère à la famille : Il s’agit de Marie Le Breton, la sage-femme. Je suppose que le fait que la sage-femme vienne en personne présenter l’enfant à l’officier d’état civil à la place d’un membre de la famille est le garant de la volonté des autorités de limiter les infanticides. Je suppose qu’une fois la déclaration de grossesse effectuée, une sage-femme « accompagne » la femme célibataire jusqu’à son accouchement. Ce suivi est décrit par Guy de Maupassant dans son tragique portrait de « Rosalie Prudent ».
Dans cette nouvelle, Rosalie, se découvrant enceinte, va déclarer sa grossesse. Elle est alors confiée à une sage-femme qui lui prodigue quelques conseils très pratiques que Rosalie devra appliquer s’il advient qu’elle accouche seule. Car, ces filles non mariées sont souvent seules, sans amis, sans famille pour les aider à accoucher : alors la sage-femme prépare Rosalie au pire : accoucher seule, à l’insu de ses patrons.
«Quand j'ai vu que j'étais grosse, j'ai prévenu Mme Boudin, la sage-femme, qu'est là pour le dire ; et j'y ai demandé la manière pour le cas que ça arriverait sans elle. Et puis j'ai fait mon trousseau, nuit à nuit, jusqu'à une heure du matin, chaque soir ; et puis j'ai cherché une autre place, car je savais bien que je serais renvoyée ; mais j' voulais rester jusqu'au bout dans la maison, pour économiser des sous, vu que j' n'en ai guère, et qu'il m'en faudrait, pour le p'tit... »(3)
La reconnaissance d’un enfant naturel
Pour les femmes célibataires, déclarer sa grossesse puis la naissance d’une enfant n’est pas suffisant. Visiblement, et contrairement aux autres naissances déclarées dans le registre d’Etat civil du grand-Lucé de la fin du XIX°siècle, la déclaration de naissance de mon ancêtre Prudence est suivie 20 jours plus tard, d’une déclaration de reconnaissance, dans laquelle Augustine déclare être la mère de l’enfant née quelques jours plus tôt.
D’ailleurs, toutes les naissances naturelles sont suivies d’un acte de reconnaissance.
Toutes sauf celle de mon ancêtre abandonné.
Pour celui-ci, pour Augustin, il y a bien eu acte de naissance prouvant la filiation entre l’enfant naturel et sa mère, mais, aucun acte de reconnaissance n’a suivi. Quelques jours après sa naissance, il a été déposé à l’hospice du Mans.
Les raisons de l’abandon : la misère
François Lebrun :
« A côté de la misère, la cause de l’augmentation des abandons est, selon les contemporains, le libertinage et la débauche. Une telle explication est très insuffisante…Les prostituées connaissent depuis longtemps les moyens d’éviter ou d’interrompre une grossesse. Par contre, combien de pauvres filles, jeunes domestiques surtout, séduites puis délaissées, ont dû se résoudre à abandonner leur enfant (…) La misère, matérielle et morale, est ici la cause profonde, bien plus que le libertinage, même s’il est vrai que l’enfant a été conçu hors des liens du mariage. »
Les différentes façons d’abandonner son enfant :
L’abandon « pur et dur » : l’exposition
Depuis toujours, il y a eu différentes façons d’abandonner son enfant. La pratique la plus courante consistait à « exposer » son enfant dans un lieu public, le porche de l’église par exemple. Quelques registres paroissiaux relatent la découverte d’enfants au pied de l’église que les curés s’empressent de baptiser.
Un exemple d'exposition ici: #
L’abandon à l'hospice
Au fil du temps, le mode d'abandon a évolué et il est devenu plus courant de déposer l'enfant à l'hôpital grâce à l'entremise d'une sage-femme "complaisante" qui se chargeait de le déposer à l'hospice.
Cette démarche reste encore trop difficile et laisse le champ encore trop large à l'"Exposition".
Le tour d'abandon :
Dès la fin du XVIIIème, certaines grandes villes mettent en place un "tour d'abandon", sorte de guichet pivotant permettant aux femmes de déposer leur enfant de façon discrète et en ayant l'assurance que, de l'autre côté, le personnel en prendra soin.
Le tour fut interdit en 1860.
L'enregistrement à l'hospice :
Lorsqu’un enfant arrive à l’hospice, il reçoit un numéro matricule. C’est désormais le seul lien qui le relie à sa famille d’origine. Ce numéro permet de le suivre autant d’années qu’il le faut, de nourrices en nourrices. Il permet aussi à la famille de l’enfant de venir de « reprendre ».
Le placement en nourrice :
L’enfant est ensuite placé dans des familles d’accueil. Les services de l’hospice du Mans suivi l’enfant et ses nourrices lors d’un rapport annuel. Ils veillent à ce que l’enfant fréquente l’école et aille à l’église.
Ex : extrait du dossier de mon ancêtre Augustin :
« Le 19.09.1887 : forte constitution- Bons soins
Le 09.09.1890 : caractère assez facile. Bons soins »
Et lorsque les relations se dégradent, l’enfant est déplacé :
« le 12.09.1894 : Ne va pas en classe, à déplacer
24.05.1897 : N’a pas soin de ses effets, les déchire à plaisir, école régulière, a fait sa première communion
La remise d’enfant :
Déposer un enfant à l’hospice du Mans ne ressemble donc pas à un acte caché, un abandon ou un rejet. Il témoigne plutôt d’une impossibilité économique de subvenir aux besoins d’un enfant. Impossibilité qui est espérée momentanée puisque tout est organisé de manière à ce que la famille puisse reprendre son enfant lorsqu’elle peut apporter la preuve qu’elle en est capable : D’où, des procès-verbaux de remises d’enfants (HG 693-697)qui témoignent des démarches entreprises par les familles pour reprendre un enfant qui a été déposé à l’hospice quelques semaines, quelques mois ou quelques années plus tôt. En parcourant ce registre, j’ai pu lire plusieurs procès-verbaux. J’ai appris qu’en fonction de l’amélioration de leur situation économique, nombreuses étaient les femmes qui venaient rechercher leur enfant lorsqu’elles pouvaient apporter la preuve qu’elles étaient capables d’en assumer la charge.
Aux archives départementales de la Sarthe, dans un document de la série 5M, j’ai pu lire un arrêté préfectoral daté 1862, regroupant 137 articles répartis en 14 chapitres, qui récapitule les multiples dispositions prises par l’état afin de mettre en place l’assistance à l’enfance.
Retour à la misère des femmes, sur les traces d'Augustine
Cette étude, déposée aux archives de la Sarthe, a été publiée en auto-édition.
