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Si j’ai pu fantasmer sur le couple Stéphanie/Louis Egard, imaginant qu’elle avait rencontré  l’homme parfait, capable à la fois d’incarner le « Grand Amour », avec toute la passion qu’on lui prête, et de placer sous son aile protectrice sa maîtresse et ses filles, j’ai vite déchanté à la lecture du testament de Louis.

J’avais rêvé une sorte de testament amoureux, alternant entre le froid calcul visant à protéger Stéphanie et ses filles, et la chaleur de tendres regrets.

Mais dans ce document retrouvé à son domicile, rien d’autre qu’une fine stratégie financière reposant sur une confiance absolue en ses deux frères, Emmanuel et Frédéric. Rien au sujet de Stéphanie, pas un toit, pas un bijou, pas un sou et surtout, pas un mot, pas un conseil. Une neutralité froide.

Déçue, j’ai continué à fouiller les archives jusqu’à retrouver une trace personnelle de Stéphanie qui laisse envisager que, finalement, Louis Edgar aurait peut-être réussi à mettre sa belle maitresse à l’abri. Pour cela, je me suis rendue à Sannois, dans les années 1888, 1895….

 

Le développement de la banlieue au XIXème

C’est le mardi 23 avril 1889, dès 10 heures du matin, qu’Emmanuel et Frédéric Rosenwald, accompagnés du commissaire-priseur Pierre Emile Lecocq se rendent au quatrième étage du 69 rue Rochechouart . Ils y retrouvent Stéphanie, restée dans l’appartement qu’elle occupait avec Louis. C’est elle qui les guide dans les différentes pièces afin d’effectuer la prisée. L’inventaire est minutieux et ne se termine qu’à 18h00.

Mais il n’est pas terminé et les mêmes personnes décident de se retrouver le lendemain 24 avril, en début d’après-midi, au nord-ouest de Paris, devant une petite maison située au 3 rue du jardin renard, à Sannois. Ils sont rejoints par le notaire Godet qui gère les affaires de Louis Rosenwald depuis plusieurs années. D’après Lucien Emmanuel, Louis et Stéphanie louaient cette maison, à la campagne, depuis 1888 et y séjournaient régulièrement, comme l’atteste la présence d’une table d’architecte sur laquelle il devait travailler.

sources: geneanet.org

Peut-être y recherchaient-ils le calme de la campagne dans cette petite ville champêtre qui connait un succès grandissant auprès des Parisiens. Louis connaissait bien les environs puisque précédemment, il avait été propriétaire de carrières dans une ville voisine d’Eragny. Et s’ils ont choisi Sannois pour trouver le repos, cela tient sans nul doute à ses nombreux attraits.

A Sannois, la colline du Montrouillet est déjà célèbre pour son moulin devenu au fil du temps une guinguette prisée des Parisiens.

sources: Journaldefrançois.fr

 

Peut-être leur rappelle-t-il la vie au pied de Montmartre.

Ensuite, la vue des hauteurs de Sannois est renommée depuis longtemps. Cassini s'y serait posté lors de la réalisation de ses célèbres cartes :

«  […] ce relief domine d’un côté toute la vallée de la Seine et de l’autre la magnifique vallée de Montmorency. Comme Sannois forme l’extrémité Est de cette colline, on jouit des hauteurs du moulin d’un des plus beaux points de vue des environs de paris. Si l’on regarde vers le Sud, on voit à ses pieds serpenter la Seine dans ce riche et magnifique coin de la France et se dresser à l’horizon les principaux monuments de Paris."

(Monographie d'instituteur, archives du Val d’oise, 1T136)

Enfin, la facilité d’accès par le chemin de fer permet  à  Sannois de bénéficier de l’attraction générée par la ville limitrophe d’Argenteuil où a été officiellement créée l’association des peintres impressionnistes en  1873. Les bords de Seine, mis à l’honneur par les artistes , ont beau les aimanter, nombre d'entre eux s’aventurent toujours plus loin dans la campagne, découvrant par la même le charme  des villes voisines. Si la présence à Sannois du couple de peintres, Eugène cauchois et Louise Ladevèze, beau-frère et sœur de Stéphanie , ne semble pas avoir été remarquée par les historiens locaux, celle de Suzanne Valadon et son fils Utrillo, qui les succède d’une décennie à peine, vient témoigner durablement de l’attrait artistique qu’offre cette petite ville.

 

Sannois par Lefeuve, 1866

Le développement du chemin de fer entraine donc celui des maisons de villégiature. Certains voient l’opportunité d’investir dans des terrains acquis à bas prix sur lesquels ils font construire des petites maisons. C’est le cas de Charles Josselin, installé à Sannois depuis plusieurs années déjà. Il est propriétaire d’une maison dans la rue de Paris où il vit avec sa mère, son fils adoptif Victor Ranglet, et la mère de Victor.

AD 95: 30 FI 158 46 - « 13. Sannois (S.-et-O.). Rue de Paris ».

Lorsque Charles Josselin décède à la fin du mois de novembre 1891, il est propriétaire d’une quinzaine de maisons situées pour la plupart rue de Paris et rue Neuve. Pour la plupart d’entre elles, ses maisons sont récentes. D’ailleurs, les deux témoins de son décès sont son fils adoptif Victor Ranglet-Josselin et son ami, Jacques Ursin Beaujean, entrepreneur de maçonnerie.

 

C’est dans une de ses maisons de la rue neuve que Stéphanie vit avec sa fille cadette Geneviève lors du recensement de 1891.

Je n’ai pas pu déterminer la manière dont Stéphanie est entrée en relation avec Charles Josselin. Plusieurs entrées sont possibles. . Il peut y avoir un lien entre l’installation de Louis Rosenwald  en 1888 rue du chemin renard à Sannois ( son matériel de travail y est installé) et les projets immobiliers de Charles Josselin .

Mais la fréquentation du monde artistique a peut-être eu son rôle à jouer : si le beau-frère de Stéphanie et sa soeur sont artistes peintres, le père biologique de Victor Ranglet-Josselin l’est aussi : il s’agit de Charles Ranglet, peintre de renom,  plus âgé que cauchois mais ayant suivi le même parcours académique. Or , Stéphanie, Louise et Eugène Henri Cauchois paraissent inséparables ; ils vivent alternativement aux mêmes adresses :  rue Neuve à Sannois et 4 rue Dautancourt à Paris.

A cette proximité s’ajoute la procuration passée par Stéphanie moins d’un an après le décès de son compagnon , auprès d’un notaire parisien et donnant tous pouvoirs à son beau-frère quant à la gestion de ses biens. C'est dans la foulée de cette procuration que le 18 mai 1890, le peintre Cauchois passe devant le notaire de Sannois pour acheter au nom de Stéphanie deux terrains situés à Cernay, quartier de la ville d’Ermont limitrophe de Sannois.  

Ils sont acquis pour une somme de 1345 francs, « payée avec les deniers de Melle Ladevèze ».

AD Val d’Oise, 2E 41263 notaire Schoengrun

 

« En autre la présente vente est faite moyennant la

somme de treize cent quarante cinq francs de prix

principal que M.Cauchois a payée avec les deniers de Madelle

Ladeveze (…) »

Stéphanie possède donc assez d’argent pour investir dans l’immobilier puisqu’elle va appliquer la méthode Josselin et faire rapidement construire sur ces terrains une grande maison dont l’annonce de la vente parait dès 1891 :

« Le Petit journal, 12 juillet 1891"

 

Il faut noter que Stéphanie se fait appeler Mme Rosenwald dans cette annonce comme dans les recensements de cette époque. Il est tout aussi important de relever le prix de vente de cette maison : 16  000 f.

Il faudra plus d’un an pour lui trouver un acquéreur en la personne de M. Montagne. Il l’acquiert en avril 1893 pour le prix de 14 500F.

AD du Val d’Oise : Minute du notaire Schoengrun côté  2E 41278

*

«  En outre la présente vente est faite moyennant le somme

de quatorze mille cinq cents francs de prix principal que

M.Montagne, à l’instant paye en bonnes espèces de monnaies

Ayant cours comptées et délivrées… »

A l’occasion de la rédaction de ce contrat de vente, l’origine de la propriété est détaillée Pour ce qui est de la maison même, sa construction a été financée encore une fois par les « deniers personnels de Melle Ladeveze" .

AD du Val d’Oise : Minute du notaire Schoengrun côté  2E 41278

 

 

« L’immeuble présentement vendu appartient à Melle Ladeveze

de la manière suivante :

Les constructions comme les ayant fait édifier de ses deniers

personnels san avoir conféré de privilèges de constructeurs, d’architectes

ou d’entrepreneurs ainsi que M. Cauchois le déclare (…) »

 

Est-il besoin de rappeler que son travail de couturière, qu’elle n’exerce plus depuis plusieurs années, ne lui permettait pas d’en vivre ? D’où peut-elle tenir ses « deniers personnels » si ce n’est de Louis Rosenwald ?

Il me semble plausible qu’elle tienne sa fortune  d’une savante gestion de ses affaires personnelles, forte des apprentissages qu’elle a pu tirer de son union avec Louis Rosenwald comme de son lien avec Charles Josselin. Si Louis n’a pas tenté de la mettre à l’abri, au moins aura-t-elle tiré profit de son immersion à ses côtés dans le milieu de la finance et de l’immobilier.

Tag(s) : #Ladeveze, #Misère, célibat, abandon et infanticide.
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