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Misère

1. Indigence et mendicité

2. La misère d'Augustine

 

 

1. Indigence et mendicité

 

En recherchant des traces laissées par mon aïeule Augustine, que les services sociaux ont contraint à déposer son enfant, mon arrière-grand-père, à l’hospice du Mans, j’ai découvert que ma famille vivait dans une misère telle que sur plusieurs générations, certains d’entre eux étaient désignés comme indigents ou mendiants sur les registres de recensement.

Cette famille vivait dans la Sarthe, à Challes, près du Grand-Lucé.

Déjà, en 1841, Louise Lemoine, grand-mère paternelle d’Augustine, apparait dans les registres de recensement comme fileuse, vivant avec sa fille, Anne. Cette dernière est tantôt qualifiée de « paralytique », « vivant de la charité publique » ou encore « mendiante ». Toutefois, elle apparait dans certains recensements comme fileuse. Nous imaginons sans mal la précarité des conditions de vie de ces deux femmes qui peinent à subvenir à leurs besoins tout en tentant de surmonter le handicap. Tout est là pour témoigner de l’instabilité de leurs moyens d’existence.

Les actes d’Etat civil qui jalonnent la vie de Jean Châble, fils de Louise Lemoine et père d’Augustine, nous renseignent sur ses conditions d’existence. Il travaillait avec sa femme Anne Dhommée dans les fermes alentours, et tous deux subvenaient à leurs besoins et à ceux de leurs deux garçons nés en 1847 et 1849.

En 1851, la ville de Challes recense, sur 2 000 habitants, une cinquantaine d’indigents, soit 2.5% de la population.

Or, cette même année, la situation semble s’être dégradée pour Jean et sa famille : il n’a plus de travail et est à son tour qualifié d’indigent.

Malgré la naissance de sa fille Augustine en 1852, j’ai envisagé l’hypothèse que Jean ait pu être atteint d’une maladie invalidante, le plongeant, lui et sa famille, dans la misère. En effet, il décède à 36 ans en 1854.

Durant cette période, à Challes, dans la Sarthe comme dans le reste de la France, la situation sociale, économique et politique est fluctuante. Le département peine à se relever de la crise de 1846-1847 durant laquelle le prix de blé a augmenté de 116% (La Sarthe des origines à nos jours, collectif, sous la direction d’André Lévy, 1983). Malgré une excellente récolte l’année suivante, la révolution de 1848 a des conséquences politiques et économiques lourdes pour les sarthois. La misère n’est jamais loin, contre-coup d’une instabilité économique persistante.

La pauvreté reste alors un phénomène récurrent que les municipalités peinent à enrayer, comme en témoigne une lettre rédigée par le maire de Villaines sous Lucé en septembre 1853 à l’attention du préfet :

 « La cherté du blé doit en ce moment éveiller l’attention de l’administration »

 Bien que la récolte de 1853 semble, selon lui, permettre de tenir jusqu’à celle de 1854, il s’inquiète :

« Je n’envisage pas moins l’avenir avec inquiétude lorsque je pense au grand nombre de pauvres qui cet hiver vont parcourir nos campagnes pour réclamer la charité publique, le pain nécessaire à leur nourriture et à celle de leur famille » 4M139

En bon observateur, il dresse le portait d’une sorte de misère ordinaire, facilement identifiable puisque omniprésente et malheureusement habituelle.

Selon son étude, le groupe des mendiants est constitué de « pauvres honnêtes », d’« ouvriers de différents états qui auront peu ou point de travail », d’ « autres qui vivent ordinairement de leur travail lorsque le pain n’est pas cher mais dont le salaire ne pourra les faire vivre cette année qu’il est à un taux extraordinaire », enfin,  des « familles trop nombreuses pour ne pas être forcées de réclamer de la charité publique nécessaire à leur nourriture et à celle de leur famille. »

En revanche, ce qui l’inquiète tout particulièrement est l’augmentation de ce qu’il perçoit comme un « grand nombre de fainéants que le travail pourrait faire vivre, mais qui ne voudront pas travailler ; les mendiants de profession qui trouvent plus commode et avantageux de se promener le bissac sur l’épaule que de travailler, car dans ce pays-ci, le métier de mendiant n’a rien qui déshonore ».

La mendicité est un fléau et il parait bien compliqué de réussir à départager les « pauvres honnêtes » des « mendiants de profession ».

Pour tenter d’y voir plus clair, les différents gouvernements ont pourtant légiféré à maintes reprises.

D’une manière générale, la mendicité est un délit lorsqu’elle est pratiquée de manière répétée par un individu valide ou lorsqu’elle est pratiquée dans une ville où existe un lieu d’accueil pour les mendiants.

Napoléon III, en rédigeant son « Extinction du paupérisme », fait preuve d’une grande lucidité. Les intellectuels, les députés, ont tous en ligne de mire l’éradication de la pauvreté. Tous cherchent une solution politique à ce problème de fond. Aux institutions religieuses s’ajoutent les initiatives gouvernementales. Les départements, par l’intermédiaire des municipalités, s’efforcent de mettre en place un soutien efficace aux plus démunis.

Or, au Mans, un dépôt de mendicité est réouvert le 20 novembre 1854.

En conséquence, dès le 1er janvier 1855, la mendicité est interdite dans tout le département. Les mendiants sont envoyés dans les dépôts de mendicité, qui fonctionnent grâce aux fonds récoltés par les commissions de charité communales et sont gérés par l’administration pénitentiaire. Au Grand-Lucé, ville dans laquelle Augustine s’est installée, le rôle de la marquise d’Argence afin de venir en aide aux plus démunis a été maintes fois salué.

Malgré tout, les moyens manquent et les locaux de l’administration pénitentiaire ne sont pas assez nombreux pour que la population carcérale puisse y être accueillie et répartie dans différents locaux en fonction des délits commis. Ainsi, une fois cueillis, les mendiants sont souvent emprisonnés dans les maisons d'arrêt et les registres d’écrou regorgent d’enregistrement de ces « vagabonds » mis au dépôt le temps d’une nuit.

 

Archives départementales de la Sarthe. 2 Y 264-     Incarcération de Letellier Louise, vagabonde.

Archives départementales de la Sarthe. 2 Y 264- Incarcération de Letellier Louise, vagabonde.

La série 4M, des archives départementales de la Sarthe, conserve de nombreux courriers relatant les difficultés éprouvées par les autorités face à la mendicité.

Ainsi, j’ai relevé ce procès-verbal qui relate un « fragrant délit de mendicité ».

La mendiante est une femme originaire de la Sarthe (elle y est née), qui, malgré sa profession de couturière, peine à subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses enfants depuis la maladie de son mari. Revenue de Paris, Marie-Louise Rouillard revient dans son pays d’origine demander de l’aide, munie d’une lettre relatant sa situation.

 

« L’an mil huit cent quatre-vingt-huit, le trente juin, à huit heures du matin,

Nous soussignés Montial Pierre, commissaire de Police du 2ème arrondissement de la ville du Mans, officier de police judiciaire, auxiliaire de M. le Procureur de la République,

certifions qu’à l’heure précitée, l’agent de police Malasse a conduit en notre cabinet la nommée Rouillard Marie-Louise, âgée de 35 ans, née au Mans  le 21 mars 1853, fille de Denis et de Moreau Elisa, mariée à Paris le 14 octobre 1875 avec le nommé Merlin Alphonse, Louis, deux enfants , âgés de huit et sept ans, couturière, logée à l’auberge Lemarié, rue de Gourdaine, N°18, depuis deux jours ,venant de Paris où elle dit avoir son domicile, rue des trois couronnes, n° 1, prétendant n’avoir jamais été condamnée.

(Son signalement suit)

La susnommée, femme Merlin, a été trouvée nantie de 0,15 centimes, de trois billets d’admission à l’hôpital Lariboisière, à Paris, au nom de son mari, ainsi que de son acte de mariage, et d’une lettre dont elle se servait pour mendier.

En mettant la femme Merlin à notre disposition, l’agent Malasse nous a fait la déclaration suivante :

« Ce matin à 7 heures en me rendant au bureau et passant sur le quai Ledru-Rollin, j’ai rencontré près du pont-Yssoir, un employé du gaz qui m’a désigné Marie-Louise Rouillard comme venant de lui demander l’aumône à l’aide d’une lettre… »

ADS: 4 M 131 Extrait du PV relatant l'arrestation de Marie Louise Rouillard

ADS: 4 M 131 Extrait du PV relatant l'arrestation de Marie Louise Rouillard

Les arrestations des pauvres qui s’adonnent à la mendicité ne sont pas toutes aussi calmes. Ainsi, l’arrestation de cet homme de 59 ans, rue de Chanzy :

 

« L’an 1888, le deux juillet à cinq heures du soir, devant nous, Alfred Quentin, commissaire de police du 3ème arrondissement de la ville du Mans, lequel nous a fait la déclaration suivante :

« Me trouvant vers les quatre heures et demi au soir rue Chanzy, j’ai aperçu un individu qui mendiait de porte en porte et recevait l’aumône. J’ai invité cet individu à me suivre au commissariat de police en lui faisant connaitre ma qualité mais il a refusé de me suivre ; l’ayant saisi par le bras, cet individu m’a traité de « méchant merdeux ». J’ai alors prié deux militaires de passage de me prêter main forte et ce n’est qu’avec leur aide que je suis parvenu à conduire cet homme à votre bureau ; au moment où je requérais ces militaires, l’individu m’a traité de nouveau de « Canaille, crapule et salop »

Lecture faite, persiste et signe avec nous

A la suite de cette déclaration faisons fouiller l’individu amené devant nous lequel a été trouvé porteur de 7 morceaux de pain, neuf bons du fourneau économique, deux francs quarante cinq centimes en billon et un passeport délivré  au Mans, ce jour. »

ADS 4 M 131: Extrait du PV d'arrestation d'un mendiant

ADS 4 M 131: Extrait du PV d'arrestation d'un mendiant

 Enfin, j’ajoute ici un dernier document, décalé du reste tant par son contenu que par l’époque à laquelle il se rattache. L’affaire se déroule l’an 11 de la République française et concerne l’appel à l’aide du maire de Bonnetable face au manque de moyens dont il dispose pour remédier à la misère et au comportement délinquant de trois enfants.

 « Trois enfants  dans notre commune , dont une fille et deux garçons, de l’âge de 11 , 12 à 13 ans, s’annonçant pour très mauvais sujets, ayant père et belle-mère ne valant pas mieux, qui les chassant de la maison paternelle  d’où ils vaguent à l’aventure, couchant dans les rues et places publiques, nus la plupart du temps au point de faire rougir les plus éhontés, rapinant à droite et à gauche, insultant , injuriant les uns et les autres même ceux qui leur font du bien, donnant à tous de  justes inquiétudes pour le présent et pour l’avenir ; comme je ne connais que des moyens insuffisants de répression envers pareils sujets , savoir d’enjoindre aux père et mère d’en faire bonne et sure garde…. »

ADS: 4 M 139: Extrait de la lettre du maire de Bonnétable au sujet d'enfants mendiants

ADS: 4 M 139: Extrait de la lettre du maire de Bonnétable au sujet d'enfants mendiants

Sale temps pour les compotes.

Toujours aussi convaincue que mon aïeule Augustine a laissé bien plus de traces que je n'ai pu en trouver jusqu'ici, j'ai entrepris de fouiller les registres de justice de paix  du canton du Grand-Lucé. Je me suis plongée dans la lecture du registre 4 U 15/75. 

J'ai pu relever un nouveau témoignage de la pauvreté à laquelle les certains Sarthois étaient confrontés: il s'agit du jugement de Police contre une femme et ses enfants, accusés de maraudage. Sale temps pour les compotes de fruits:

"le 17 septembre 1887, 

Audience de simple police

La dame Augustine Rouillard, femme Chereau, ménagère, et les mineurs Albert et Juliette Chereau, ses enfants, demeurant à Pruillé L'Eguillé, comparaissent pour avoir , le 27 août dernier, ramassé des poires appartenant au sieur Clovis Blateau."

 

Les deux mineurs sont acquittés "comme ayant agis sans discernement". ils ont moins de 8 ans.

La femme Chereau est condamnée à 2 francs d'amende.

 

 

 

 

 

 

2. La misérable vie d'Augustine

 

A l’instar de ces vagabonds et mendiants, j'ai envisagé qu'Augustine ait pu se livrer à la mendicité et qu'à ce titre, elle ait pu être incarcérée dans la maison de correction de Saint-Calais. 

J'ai donc consulté les registres d'écrou de simple police de Saint-Calais du 25 mai 1885 au 6 octobre 1925 (côté 2 y 312). Ce registre ne m'a apporté aucune piste. Je pense avoir mal ciblé ma recherche (trop tardive). Malgré tout, je n'abandonne pas et poursuivrai ultérieurement. Sa réputation de "fille de mauvaise vie" l'a forcément conduite derrière les barreaux à un moment donné.

En revanche, le dossier individuel de son fils Augustin, admis à l'hospice du Mans le 24 décembre 1886 ( joyeux Noël!!), est une mine d'informations.

Le même jour, le maire du Grand-Lucé a rédigé un courrier qui atteste de l'incapacité d'Augustine et de sa famille à s'occuper d'Augustin. 

-Augustine est dans "un état absolu d'indigence"

-Augustine est dans " l'impossibilité d'élever l'enfant qu'elle vient d'avoir"

-Augustine "ne possède aucune économie" 

-Augustine ne gagne "que de faibles gages"

-Augustine a "peu d'intelligence"

-Augustine est dans un état "voisin de l'idiotisme"

-la mère d'Augustine est "indigente, âgée et paralytique"

-Augustine est une "malheureuse fille""déjà mère d'un premier enfant âgé de 3 ans" qui "a été élevé par sa belle-soeur avec l'aide de l'assistance publique du département"

 

Indigence- idiotisme- admission à l'hospice- abandon d'enfant
ADS registre 3 X 489

 

Je vais continuer de fouiller, de plonger au cœur de la misère à laquelle 3 de mes aïeules (veuve, jeune veuve, fille-mère) ont été confrontées.

 

Afin de mieux cerner l'environnement familial d'Augustine et ses proches, j'ai fouillé les registres d'Etat civil et les listes de recensement de Challes et du Grand-Lucé. C'est ici.

 

Tag(s) : #Généalogie sarthoise, #Misère, célibat, abandon et infanticide.
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